Le courage des autres de Hugo Boris

Il n’y a rien de plus mortellement ennuyeux qu’un trajet quotidien en RER. Plongé dans son livre ou les écouteurs vissés sur les oreilles, le temps semble suspendu entre la station de départ et celle d’arrivée. Pourtant Hugo Boris nous prouve le contraire.

Le courage des autres de Hugo Boris (éditions Grasset)

Le courage des autres de Hugo Boris (éditions Grasset)

Il y a de la vie dans ce RER, des êtres qui se croisent, des incidents de voyageurs qui foutent en l’air l’organisation d’une journée, la misère qui côtoie la solitude, des petites frappent qui s’attaquent aux plus faibles, des courageux qui agissent quand des lâches se carapatent. C’est une société miniature qui se reconstitue wagon par wagon, une jungle où la loi du plus fort s’impose à ceux qui préfèrent éviter les histoires. Beaucoup se contentent de détourner les yeux au moindre incident : pas vu, pas concerné. L’auteur, lui, n’y arrive plus.  Il ne supporte plus cette lâcheté ordinaire, il ne supporte plus sa propre lâcheté, gluante, écœurante, à vomir. Il se maudit de rester tétanisé quand l’urgence de la situation ordonne d’agir. Il observe les autres et admire celles et ceux qui osent s’interposer, rappeler les règles, tenir tête. Ceux qui osent ce que son cerveau lui refuse. Où trouvent-ils ce courage qui lui fait totalement défaut ?

L’auteur se présente comme un lâche, s’auto-flagelle, un peu mais pas trop, pas de quoi geindre à en devenir insupportable. Au contraire, il se contente de se regarder en face, sans se voiler la face justement. Il le dit lui-même : ses excuses ne tiennent pas, il est lâche un point c’est tout. Il avoue sa faiblesse pour mieux la dompter, pour nous prendre à témoins : voyez comme je suis lâche ! Je ne peux plus faire comme si je n’avais pas vu, pas entendu, je suis lâche, je le sais et vous le savez aussi désormais !

Je n’ai pas envie d’emprunter ici le masque du lyrisme pour faire du beau avec du laid, des mots qui seraient des insultes à la vérité ce soir-là, je suis une merde, une lavette, un faible, un infirme. Je suis malade de la peur. J’ai la maladie de la peur. Je suis devenu la proie de ce mot. Ma propre réaction me terrorise, me dévirilise, me tend mon reflet authentique, celui d’un pauvre mec sans couilles au cul.

Mais comme le courage est une qualité qui lui fait défaut, il envie et admire le courage des autres. Dans ce recueil, l’auteur démontre une grande sensibilité et un sens de l’observation qui lui permet de capter la moindre anicroche, de sentir les intentions des uns et des autres, de restituer le message d’un regard menaçant ou défiant, de saisir la tension avant l’explosion. Tout ce qui échappe à ces voyageurs recroquevillés en attendant que ça passe, il l’attrape au vol, s’en nourrit, le capte et l’enferme dans son carnet. Cette collection de moments de vie donne lieu à une lecture touchante et forcément à une introspection : aurait-on été meilleurs que lui à sa place ? Aurait-on eu la même honnêteté que lui face à nos propres faiblesses ? Et puis une évidence nous saute aux yeux : le courage suffit souvent à désamorcer la bombe sans heurts, sans perte ni fracas. Regarder sa lâcheté en face, pour mieux la dompter et la dépasser, regarder Le courage des autres en face, pour mieux y puiser de la force et s’en inspirer, c’est tout le sens de ce document.

Le courage des autres est le dernier document sélectionné par le jury d’avril pour le Grand prix des lectrices Elle 2020.


L’ESSENTIEL

Couverture de Le courage des autres de Hugo Boris

Couverture de Le courage des autres de Hugo Boris

Le courage des autres
Hugo BORIS
Editions Grasset
Sorti le 08/01/2020
180 pages 

Genre : document autobiographique
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Ordesa de Manuel Vilas, Un dimanche matin de Johanne Rigoulot, L’empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich, Le consentement de Vanessa Springora

RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR

Hugo Boris vient de passer sa ceinture noire de karaté lorsqu’il fait face à une altercation dans le RER. Sidéré, incapable d’intervenir, il se contente de tirer la sonnette d’alarme. L’épisode révèle une peur profonde, mélange d’impuissance et de timidité au quotidien. Trait de caractère personnel ou difficulté universelle à affronter l’autre en société ? Ce manque de courage l’obsède. Sa femme lui suggère de «  se faire casser la gueule une bonne fois pour toutes  » pour l’exorciser.

Mais Hugo Boris est écrivain, alors, pendant quinze ans, il consigne sur le vif ces situations d’effroi dans les transports en commun. Il peint aussi le ravissement d’une rencontre, l’humanité d’un dialogue, l’humour d’un échange imprévu. À travers ces miscellanées heureuses ou tragiques, il décrypte une mythologie contemporaine, celle du métro et du RER, et cherche à appréhender ses craintes, à la maîtriser par la distance, la littérature ou… la lecture de Dragon Magazine  !

Il tente aussi de conjurer sa peur en guettant le courage des autres sous toutes ses formes, profondément admiratif de tous ceux qui parviennent à intervenir lorsqu’une situation les interpelle, les sollicite, exige une prise de parole, un geste. Il dessine un hommage à tous ceux qu’il a vu avoir, sous ses yeux, le cran qui lui manquait. Et se demande si le courage est contagieux.

Totalement original, sincère, d’une actualité, d’une précision d’écriture et d’observation remarquables, ce recueil de textes brefs touche au plus juste. En se mettant à nu, Hugo Boris parle de chacun de nous, de nos lâchetés et de nos malaises quotidiens, de nos éblouissements et, parfois, de nos héroïsmes.


TOUJOURS PAS CONVAINCU ?

3 raisons de lire Le courage des autres

  1. Parce qu’une fois commencé, on a envie de le lire d’une traite
  2. Parce que ça nous renvoie à nos propres réactions
  3. Parce que l’auteur a mené une observation fine et touchante des petits riens qui maillent le quotidien des usagers du RER

3 raisons de ne pas lire Le courage des autres

  1. Si vous n’aimez pas les récits intimistes
  2. Si vous êtes rebuté à l’idée de lire un texte qui vous renvoie à votre quotidien un peu gris
  3. Si vous cherchez de l’évasion, de l’exotisme pour vous extirper de votre confinement covid 19
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