Le Silence de Dennis Lehane
Il y a bien longtemps que je n’avais pas lu de roman de Dennis Lehane. Assez longtemps pour oublier à quel point il fallait faire confiance à cet auteur, lui donner de son temps pour qu’il transforme chacune de ces minutes en véritable enchantement.
Avec Le Silence, Dennis Lehane nous revient plus en forme que jamais, accompagné d’un personnage principal aussi charismatique que Jimmy de Mystic River que l’on retrouvait sous les traits du non moins charismatique Sean Penn dans l’adaptation cinématographique.
Comme Jimmy, Mary Pat Fennessy est une Irlandaise installée à Boston, une battante, une véritable guerrière prête à tout pour protéger ce qui lui reste de famille. Comme Jimmy, elle refusera de déposer les armes tant qu’elle ne saura pas ce qui est arrivé à Jules. Sa fille a mystérieusement disparu le soir où un jeune Noir, Augie Williamson, a été retrouvé mort près d’une station de métro. Ces deux événements n’ont a priori rien en commun, pourtant quelque chose cloche. South Boston, le quartier dans lequel vivent Mary Pat et sa fille, ne ressemble plus à ce qu’elles ont connu par le passé. Southie traverse des heures difficiles depuis la mise en place d’une politique d’intégration raciale dans les écoles du coin via une opération de busing très mal vécue par la population. La tension monte en cet été 1974 tandis que la colère gronde envers ces politiciens, bien planqués dans leurs ghettos pour riches, qui font appliquer chez d’autres des lois qu’ils n’accepteraient jamais chez eux. Les Noirs ne sont pas les bienvenus dans les écoles pour Blancs de Southie pas plus que les Blancs n’ont envie de traîner leurs guêtres dans les écoles de nègres, qu’on se le dise ! Mais cela n’explique toujours pas à Mary Pat Fennessy la disparition de sa fille. A moins que…
Appelez-les niaks, appelez-les nègres, appelez-les youpins, « micks », métèques, ritals ou bouffeurs de grenouilles, appelez-les comme vous voulez, pourvu que vous leur colliez un nom quelconque qui enlève une couche d’humanité à leur corps quand vous les évoquez. C’est ça le but recherché. Si vous pouvez faire ça, vous pouvez faire en sorte que des jeunes hommes traversent des océans pour aller tuer d’autres jeunes hommes, ou vous pouvez aussi les faire rester ici chez eux, et leur faire faire la même chose.
Au fur et à mesure de ses recherches effrénées pour retrouver Jules, Mary Pat Fennessy va se confronter au malaise de toute une société gangrénée par la corruption et par un racisme ambiant qui cache une véritable misère sociale. Au fur et à mesure de ses investigations, la mère courage va prendre conscience du chaos ambiant et des vrais responsables de cette situation. Jamais manichéen, Dennis Lehane compose au contraire une partition tout en nuances qui met en exergue la complexité du vivre ensemble et souligne l’importance de l’éducation et de la transmission de valeurs. En tant que parents, nous sommes tous responsables de la société que nos jeunes construiront à leur tour, aiguillés qu’ils sont par nos propres jugements, nos idéaux et nos valeurs. Un poids écrasant dont Mary Pat va prendre conscience à mesure que son enquête va dresser un portrait de Jules bien éloigné de celui qu’elle connaissait.
Vous avez élevé une enfant qui pensait que haïr des gens parce que Dieu leur a donné une couleur de peau différente était quelque chose de normal. Vous avez autorisé cette haine. Vous l’avez probablement engendrée. Et votre gamine et ses amis racistes tels que vous, ont été lâchés dans le monde pareils à des putains de grenades bourrées de haine et de stupidité…
Ce roman va vous faire cogiter, et pas seulement pour savoir ce qu’il s’est vraiment passé cette fameuse nuit et où se trouve Jules désormais. Non, la réflexion ira bien plus loin car c’est là toute la singularité et la puissance des romans de Dennis Lehane : l’enquête n’est finalement qu’un prétexte pour nous proposer une œuvre d’une toute autre envergure. Il serait dommage de réserver la lecture de cet auteur aux seuls amateurs de littérature noire tant son propos est plus riche, plus brillant, plus universel.
Nous savons tous que la seule loi et le seul dieu, c’est l’argent. Si on en a suffisamment, on n’a pas à souffrir des conséquences de ses choix et on n’a pas à souffrir pour les idéaux que l’on défend, on les impose simplement aux autres et on se félicite de la noblesse de nos intentions.
J’ignore si Le Silence bénéficiera d’une adaptation cinématographique aussi réussie que Mystic River, Shutter Island ou Gone baby Gone mais il jouit déjà d’une version audio exceptionnelle. Le timbre de voix de Marie Bouvier, légèrement granuleux, apporte toute la rugosité nécessaire pour incarner ce personnage de mère irlandaise fière et combative. On se voit parfaitement battre le pavé à ses côtés, échanger des amabilités avec les petites frappes de Southie et tenir la dragée haute aux enquêteurs qui aimeraient bien que la Mary Pat reste gentiment chez elle pendant qu’eux font semblant de chercher sa fille. Toute cette détermination et cette hargne si bien campées, ça prend aux tripes ! Assurément l’une de mes meilleures découvertes audio de ces dernières années !
Les gens de Dover, dit-elle. De Welleslay, de Newton et de Lincoln – leurs gosses vont se planquer dans des facs et des grandes écoles, et ils ont des docteurs pour certifier qu’ils souffrent d’écouphènes, qu’ils ont les pieds plats, des becs de perroquet ou toutes sortes de conneries de ce genre. Et ce sont exactement les mêmes gens qui veulent que je mette ma file dans un bus pour l’emmener à Roxbury, mais qui ne laisseraient pas un Noir faire deux pas dans leur quartier une fois qu’ils ont fait tondre leur pelouse et que le soleil se couche.
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L’ESSENTIEL
Le Silence
Dennis LEHANE
Editions Gallmeister en GF, Audiolib pour la version audio
Sorti le 27/04/2023 en GF, le 30/08/2023 en audio
Traduit par François Happe
Lu par Marie Bouvier
448 pages (11h50 d’écoute)
Genre : roman noir
Personnages : Mary Pat Fennessy et sa fille Jules, Bobby Coyne l’enquêteur
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Mystic river du même auteur, Rosa dolorosa de Caroline Dorka-Fenech, Jake de Bryan Reardon, Mille petits riens de Jodi Picoult, Alabama d’Alexis Arend
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
Été 1974, aux États Unis. Mary Pat est une mère célibataire qui vit à la dure dans le quartier irlandais de South Boston avec sa fille de dix-sept ans, Julie – “Jules“ pour tous. Toutes deux s’opposent à la politique de déségrégation de la ville, qui veut forcer les lycéens blancs et noirs à aller en classe ensemble. Un soir, après une sortie avec ses amis, Jules ne rentre pas à la maison. Le lendemain, un jeune noir est retrouvé mort sur les rails du métro. Une coïncidence sur laquelle personne ne s’attarde. Mary Pat cherche désespérément sa fille, mais tous, Police, mafieux du quartier, famille, restent muets. Face à ce mur de silence, elle décide de prendre les choses en main. Sa fille, elle va la chercher elle-même. En colère, armée de sa détermination et de sa vieille voiture, Mary Pat luttera seule pour faire éclater la vérité. Quitte à briser quelques jambes.
Grand roman américain, Le Silence met à nu le cœur sombre d’un pays à travers le portrait d’une mère farouche.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Le Silence
- c’est du grand Lehane
- c’est un roman noir qui marque durablement les esprits
- c’est d’une justesse remarquable
3 raisons de ne pas lire Le Silence
- le démarrage est un peu laborieux, il faut savoir prendre son temps
- à certains moments on a l’impression qu’il n’en finit plus de finir
- c’est a priori le dernier livre de l’auteur et ça, c’est vraiment la mauvaise nouvelle !
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