Murène de Valentine Goby
Troisième titre en lice pour le Prix Landerneau des lecteurs 2019, Murène retrace les débuts de l’handisport en France. C’est un roman qui m’a dérangée avant de m’attirer dans ses filets.
Je dois reconnaître que j’ai fait un peu grise mine quand j’ai découvert Murène parmi la sélection du Landerneau. J’ai ressenti une forme de répulsion en découvrant le titre d’abord et la couverture ensuite. Personnellement je n’y vois pas l’éloge d’un corps abîmé mais qui s’élève malgré tout, je n’y vois aucun espoir, aucun dépassement de soi mais au contraire un profond désespoir. Pour cette raison, et me connaissant, je sais que j’aurais soigneusement évité ce roman s’il ne m’avait pas été imposé. C’est un vrai délit de sale gueule éditoriale, je le reconnais, je n’en suis pas très fière mais je l’assume car pour moi le plaisir de lecture commence par toutes les promesses contenues dans un titre et une couverture : c’est un plaisir purement esthétique, avant le plaisir de lecture mais presque aussi important que celui-ci.
Passée cette première mauvaise impression, j’ai été heureuse de me plonger dans cette histoire. Il y a un point commun entre les finalistes du Landerneau, c’est l’originalité de leur thème et de ce point de vue, Murène est peut-être même le grand gagnant.
Ce roman aux airs de documentaire, retrace l’histoire de François Sandre, un jeune homme d’une vingtaine d’année à qui la vie sourit jusqu’au jour où il est victime d’un terrible accident en voulant grimper sur un wagon de chemin de fer. Un arc électrique le privera définitivement de ses bras. L’auteure nous mène du lieu de l’accident à la chambre d’hôpital pour suivre les premières heures de ce grand brûlé dont la survie ne tient qu’à un fil. Toutes les atrocités vécues par cet homme nous seront relatées, depuis les décisions prises par les médecins pour tenter de le sauver en l’amputant de ses membres brûlés aux soins méticuleux des infirmières sur des plaies à vif et purulentes. La souffrance endurée par François est indescriptible et pourtant Valentine Goby parvient à nous la faire toucher du doigt et même à un degré infime, ça reste insupportable. Vient ensuite le plus dur finalement, une fois que la douleur physique s’atténue, que les plaies cicatrisent il faut faire face à cette nouvelle vie sans mains, sans bras, cette vie où plus jamais on ne touchera, on ne tiendra, on ne caressera, on ne supportera. Accepter l’inacceptable demande du temps et François pas plus qu’un autre ne pourra éviter les moments de profond désarroi où la mort semble l’issue la plus heureuse. Pour vouloir vivre, il faut se trouver une raison et il lui faudra du temps pour la découvrir : ça sera le sport. Nous sommes dans les années 60, à cette époque l’handisport n’en est encore qu’à ses balbutiements, il y a tout à inventer, tout à rêver et tout à tenter. Il en faut de l’imagination pour envisager nager le crawl quand on n’a plus de bras, juste un tronc et des jambes qui coulent plus qu’ils ne flottent. Mais Murène c’est aussi ça : une leçon de vie, l’idée que même diminué et amoindri, le corps est capable de toutes les prouesses s’il travaille de concert avec le cœur et la tête. « A l’impossible il s’est tenu » nous résume l’auteure. Qu’ajouter à cela ?
Jour de pansements. Il tremble. Il supplie, il est à ce degré de la peur qui terrasse toute gêne. Il sait chacun des gestes à venir, rien ne peut le rassurer.
– François, dit l’infirmière, il le faut. C’est ce qui vous sauve.
Le sauve de quoi, qu’est-ce qu’il y a au bout des pansements ? C’est le prix à payer de quelle victoire, il demande la voix cassée, hein ? Qu’est-ce que je gagne à ça, dites-moi ?
Peut-être quelques mots sur le style qui m’a un peu moins séduite que le fond. J’ai été décontenancée par son hétérogénéité, passant de vrais moments de grâce littéraire avec des passages entiers que j’ai tenu à conserver tant ils sonnaient juste à d’autres plus laborieux où l’écriture devenait limite pompeuse et prenait le dessus sur l’histoire. De mon point de vue, une langue est belle quand elle s’exprime avec simplicité et justesse, pas quand elle fait des ronds de jambe avec de grandes envolées lyriques. C’est certainement pour cela que je voue une telle admiration à John Steinbeck et beaucoup moins à nombre d’auteurs contemporains qui se perdent en digressions et en effets de style. Je n’ai pas plus apprécié les sauts dans le temps à visée documentaire. C’était certainement utile pour mieux comprendre le contexte dans lequel s’inscrivait ce roman mais le procédé m’a paru maladroit car en rupture complète avec l’histoire qui nous était racontée. J’aurais préféré un roman plus resserré sur la seule aventure de François pour la vivre encore plus intensément et de manière plus intime, sans parasitage d’éléments totalement extérieurs à sa vie.
Une fois n’est pas coutume, je tiens à dédicacer cette chronique (je ne sais pas si ça se dédicace une chronique mais tant pis, ça sera une première) à mon amie Charlotte, cavalière devenue aveugle à l’âge de 19 ans et qui a réalisé son rêve fou cette année : faire les championnats de France en para-dressage. Tout ce que ce livre m’a appris sur le courage, la persévérance, l’importance du mental, je le savais déjà grâce à elle.
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L’ESSENTIEL
Murène
Vaentine GOBY
Editions Actes Sud
Sorti le 21/08/2019 en GF
384 pages
Genre : roman contemporain
Personnages : François Sandre, Sylvia sa soeur, Nadine son infirmière, Joao son ami, Muguette…
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Mon désir le plus ardent de Pete Fromm
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
Hiver 1956. Dans les Ardennes, François, un jeune homme de vingt-deux ans, s’enfonce dans la neige, marche vers les bois à la recherche d’un village. Croisant une voie ferrée qui semble désaffectée, il grimpe sur un wagon oublié… Quelques heures plus tard une enfant découvre François à demi mort ― corps en étoile dans la poudreuse, en partie calciné. Quel sera le destin de ce blessé dont les médecins pensent qu’il ne survivra pas ? A quelle épreuve son corps sera-t-il soumis ? Qu’adviendra-t-il de ses souvenirs, de son chemin de vie alors que ses moindres gestes sont à réinventer, qu’il faut passer du refus de soi au désir de poursuivre ? Murène s’inscrit dans cette part d’humanité où naît la résilience, ce champ des possibilités humaines qui devient, malgré les contraintes de l’époque ― les limites de la chirurgie, le peu de ressources dans l’appareillage des grands blessés ―, une promesse d’échappées. Car bien au-delà d’une histoire de malchance, ce roman est celui d’une métamorphose qui nous entraîne, solaire, vers l’émergence du handisport et jusqu’aux Jeux paralympiques de Tokyo en 1964.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Murène
- Pour rendre hommage à ces hommes et ces femmes qui se battent chaque jour avec leur handicap
- Pour se reconnecter avec notre corps, cette incroyable machinerie
- Pour prendre une grande et belle leçon de vie
3 raisons de ne pas lire Murène
- Pour son style parfois ardu
- Pour le côté plombant d’une grande partie du roman
- Pour ses longueurs par moment
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