Nos âmes la nuit de Kent Haruf
Dans Nos âmes la nuit, Kent Haruf s’est saisi d’un sujet original en littérature mais oh combien banal dans la vie : la solitude des personnages âgées. Il en résulte un très beau roman doublé d’un réel questionnement.
Finir sa vie seul est certainement l’une des plus grandes peurs que l’être humain, ce drôle d’animal grégaire, puisse nourrir dans son existence. On a beau tout faire pour l’éviter, elle finit bien souvent par nous rattraper au détour de relations familiales qui se délitent ou d’êtres chers brutalement arrachés. Cette peur est tellement présente que la première question que l’on pose à quelqu’un qui n’a pas eu d’enfant c’est s’il n’a pas peur de finir sa vie tout seul. Comme si la famille protégeait inévitablement de ce fléau et qu’elle ne servait au fond qu’à assurer cette fonction de béquille pour les vieux jours. On a rarement vu plus mauvais placement…
Si Addie se retrouve seule aujourd’hui, ça n’est pas faute d’avoir construit cette famille qui aurait dû l’entourer d’amour et d’attention jusqu’à son dernier souffle. Mais que peuvent des enfants, vivant à des kilomètres de chez elle, contre la profonde solitude ressentie depuis son veuvage. Dormir seule lui est devenu intolérable. L’absence de contact physique a fini par creuser les fondations d’un manque abyssal. Addie a bien une idée pour rompre sa solitude et elle va en faire part à son voisin, Louis, lui aussi veuf de son état. Accepterait-il de dormir certains soirs avec elle ? Cette proposition n’a rien de sexuel, le manque d’Addie se situe ailleurs : dans l’absence d’un corps à ses côtés, dans le manque de bras qui l’enlacent, dans ces discussions qui vous tiennent éveillés une partie de la nuit, dans ces rires, cette complicité, cet échange de regards qui vous font vous sentir encore vivant et digne d’intérêt pour quelqu’un. Louis veut-il tenir une place dans sa vie et laisser Addie en occuper une en retour dans la sienne ? La proposition est osée car les deux septuagénaires se connaissent à peine et l’on cancane vite dans le quartier mais à leur âge, tout cela a-t-il encore de l’importance ? Louis accède à la demande d’Addie. Il s’en suivra des rencontres pleines de tendresse, des vies que l’on s’expose, des confidences que l’on ose se faire, des secrets dont on se libère enfin. La vie reprend dans les foyers d’Addie et Louis jusqu’à ce que…
J’ai toujours entendu dire que vous étiez un bon prof. Les gens en ville le pensent. Vous avez été un bon prof pour Gene.
Un bon, peut-être. Mais pas un grand. Ca, je le sais.
C’est par Nos âmes la nuit que je pénètre dans l’univers de Kent Haruf. Ce très court roman a été adapté au cinéma il y a deux ans avec Jane Fonda et Robert Redford dans les rôles principaux et si je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir, je ne peux imaginer meilleur duo d’acteurs pour incarner ces personnages. Avec beaucoup de douceur et de respect, ce roman met en lumière un âge de la vie où l’on a au contraire souvent l’impression d’être transparent. Qui se préoccupe au fond de l’envie et des besoins des personnages âgées, qui leur prête une oreille réellement attentive pour écouter tout ce qu’ils ont sur le coeur ? Quelle place leur accordons-nous dans notre société occidentale ? A y réfléchir un peu, il y a de quoi avoir honte. Alors, ne serait-ce qu’en cela, ce roman est important et utile dans le paysage littéraire. Toujours très mesuré, l’auteur veille à ne tomber ni dans le pathos ni dans les envolées lyriques, afin de laisser la part belle à une histoire simple et presque banale, si elle ne reposait pas sur une proposition culottée mais finalement si pertinente de la part d’Addie. Kent Haruf, parvient par ce roman à nous interroger sur la place des seniors dans notre vie mais aussi sur les seniors que nous voulons être demain : ceux qui attendent sagement dans un coin que la mort arrive sans déranger personne ou ceux qui, jusqu’à leur dernier souffle auront leur mot à dire sur ce qui les intéresse directement, leur propre vie.
L’ESSENTIEL
Nos âmes la nuit
Kent Haruf
Editions Pavillon poche Robert Laffont
Sorti le 12/10/2017 en poche
192 pages
Genre : contemporain
Personnages : Addie et Louis
Plaisir de lecture : ❤❤❤❤❤
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Retour à Little Wing et Le petit-fils de Nickolas Butler, Un jour tu raconteras cette histoire et Où vivaient les gens heureux de Joyce Maynard, Mon désir le plus ardent de Pete Fromm
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
Dans la petite ville de Holt, Colorado, Addie, une septuagénaire veuve depuis des décennies, fait une étrange proposition à son voisin, Louis, également veuf : voudrait-il bien passer de temps à autre la nuit avec elle, simplement pour parler, se tenir compagnie ? La solitude est parfois si dure… Bravant les commérages, Louis se rend donc régulièrement chez Addie. Ainsi commence une très belle histoire d’amour, lente et paisible, faite de confidences chuchotées dans la nuit, de mots de réconfort et d’encouragement. Une nouvelle vie apaisée, toute teintée du bonheur de vieillir à deux.
Hymne à la tendresse et à la liberté parcouru d’un grand vent d’humour, Nos âmes la nuit est l’oeuvre qui a fait connaître Kent Haruf au grand public, quelques mois après sa mort. Ce livre-testament est aujourd’hui un fi lm événement sur Netflix, avec Robert Redford et Jane Fonda dans les rôles principaux.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Nos âmes la nuit
- pour sa tendresse et sa douceur
- pour ses personnages attachants et les questionnements qu’ils font émerger
- pour la plume délicate et sincère de Kent Haruf
3 raisons de ne pas Nos âmes la nuit
- si vous cherchez du sensationnel et des rebondissements vous risquez d’être déçu
- la fin du livre interroge par rapport au message véhiculé
- le livre est découpé en grandes parties par personnage, si vous aimez les chapitres courts, vous en serez pour vos frais
Je ne connaissais pas du tout. Merci pour la découverte, je prends note 🙂
Bonne journée !